Make The Best Of Every Time.. [Libre]

Lenteur. Douce et délicieuse lenteur.
Lenteur des feuilles mortes qui tourbillonnent dans une bise déjà glaciale, lenteur des flocons qui s'échappent de l'infini des cieux. Lenteur de la renaissance de la nature, lenteur des butinement d'abeilles dans l'air lourd chargé de senteurs florales. Lenteur, reflet du calme et de la sérénité, reflet de l'agonie, de la solitude.
Silencieuse et immobile lenteur.

La sève et l'herbe embaument l'air. Une brise entrecoupées par les troncs porte à ma truffe les relents de l'eau stagnante qui entoure les îles de la forêt brumeuse. Cette brume qui colle à mon pelage, le recouvre d'une effluve mystérieuse. Je projette instinctivement ma conscience au dehors de mon corps. Bien sûr, personne. J'aurai senti une quelconque présence, même un espion. Mais seules les flammes de vie de petits mammifères brillent dans l'obscurité de mon esprit. Les grattements des rongeurs nocturnes résonnent si fort à mes oreilles, les discrets oiseaux dans le bruissements des feuilles sont sans mal repérés. La terre est couverte d'une épaisse mousse moelleuse jonchées d'aiguilles de pins. Mes grosses pattes s'enfoncent dans ce sol meuble et humide. Je me dirige vers le bord de l'eau, l'air frais se fait plus frais à mesure que j'approche.
J'entends bientôt les langues d'écume goûter du bout des lèvres le sable terreux de l'île. Le vent ébouriffe mon poil, chasse momentanément le brouillard moite. Je m'avance et lape l'eau froide. Un goût de terre me reste dans la gueule, un goût glacial et terrifiant. Le bruit de mes coups de langue résonne seul comme l'écho d'une voix dans la nuit sombre. Car ce soir, Dame Lune a choisi de ne pas éclairer les Terres Centrales de sa lueur bienfaisante ; je ne sens pas reposer sur moi sa lumière céleste. Ce soir, la Nuit règne sans sa souveraine.
Soudain un bruit, un unique craquement. Je me fige, déploie mon esprit. Une présence, un loup. L'ouïe. Les battements d'un gros cœur dans lequel circule un sang épais. L'odorat. Brouillé par la brume, seule persiste l'odeur boisée de la sève. Je mets toucher et goût de côté. La vue, inaccessible et inconnue, est sans intérêt, bien trop superficielle. Je renifle, l'autre ne bouge pas. On m'a un jour fait la remarque que ma robe me rendait invisible au milieu de la nuit. Ombre parmi les ombres, je rentre sous le couvert des arbres, me dissimule dans des arbustes. Les aiguilles de pins étouffent le bruit, mais je n'en ai pas besoin pour être discrète, mes coussinets suffisent à amortir mes pas. Le sol est pentu par ici, je suis en dessous du canidé inconnu. En position d'infériorité. Il peut m'acculer contre l'eau poisseuse et glacée, et je ne suis pas à l'aise à la nage. Sans vision, l'eau est mortelle. Je ne le sais que trop bien..

J'attends. Sans un bruit, sans un mouvement. Et le temps s'écoule. Lentement.
Ô, éternelle lenteur, si rassurante, si angoissante. Ô, silencieuse et immobile lenteur.