La brume est parfois trompeuse... {Destinée}

La brume est parfois trompeuse...

pv. destinée

Eko remonta à la surface. Cela faisait plus de deux heures qu’elle était sous l’eau, dans son élément. Elle s’y sentait si bien, coupée du reste du monde, des bruits et des autres. Rien que le silence des eaux, le léger clapotis des vagues qui évoquaient chez elle une douce symphonie sous-marine. Elle s’était baladée dans la forêt brumeuse, et avait plongée dans une source, pas très grande certes, mais dont la profondeur et la pureté de l’eau la satisfaisait. C’était un coin tranquille et elle y venait souvent. Il n’y a personne ou presque, et l’endroit est totalement silencieux et pur. Pur comme si elle avait été la première louve à fouler ce territoire, comme si elle était seule au monde et que la terre lui appartenait.
Quand elle se hissa à la surface de l’eau, la brume était toujours là. Stagnante, fantomatique. Eko s’amusait de temps en temps à décrypter les différentes formes que la brume prenait parfois, ressemblant tantôt à une meute de loups qui couraient, libres, ou tantôt à une mer blanche et silencieuse, aux douces vagues tranquilles. Ou simplement des âmes vagabondes, qui erraient de-ci, de-là.
L’eau l’avait complètement rechargée. Elle avait fait une longue marche solitaire - comme toujours - et se dirigeait vers les terres du Nord. Elle n’y était jamais allée, et voulait voir à quoi cela ressemblait. Et puis, elle ne s’était jamais baignée dans une eau glacée. Quel effet cela aurait-il sur son corps ? Son pouvoir resterait le même, ou au contraire, subira-il des modifications dues à la température de l’eau ? Cela l’intriguait beaucoup. Eko se posait souvent des questions sur ses pouvoirs et ses capacités, cet étrange lien qui l’uni avec l’eau. Cet élément étrange, difficile à maîtriser et à comprendre. Un élément sauvage, déchaîné et imprévisible. Un peu comme elle, en fin de compte…
Elle se posait ces questions au bord du rivage à mâchouiller un brin d’herbe, quand une forme se découpa soudain de la brume. Elle se rapprochait, et ce n’était pas un loup. La silhouette était trop trapue et pas assez gracieuse. Non, cet animal n’était pas une loup, mais quelque chose de bien plus gros et bien plus imposant. Mais la forme indistincte disparut aussi vite qu’elle était apparue, pour à nouveau se plonger dans la brume.
Toujours sur ses gardes mais les muscles relâchés, Eko réfléchit. Ce n’était pas un loup. De toute façon, aucun loup ne viendrait traîner dans les parages pour lui faire la conversation. Tout le monde la considérait comme folle, et ce n’était pas aujourd’hui que les mentalités auraient changées. De toute façon, ce statut ne la dérangeait pas. Au moins comme ça, on la laissait tranquille…
Elle se mit en position d’attaque. La forme inconnue réapparaissait à nouveau dans l’épais brouillard, et cette fois, elle se dirigeait bien vers la jeune louve aux aguets. Pas après pas, la silhouette se détachait de plus en plus. La brume et l’humidité dans l’air masquait son odeur. Ce n’est que lorsqu’elle fut à trois mètres d’elle qu’Eko la reconnu.
Un ours !
C’était un ours !
Et en colère, vu la vitesse à laquelle il se déplace.
Fuir, tant qu’il en est encore temps. Avec toute la vanité qu’il peut avoir, un loup solitaire n’est pas de taille à affronter un ours corps à corps, et Eko le sait très bien. Elle étudia tout les chemins possibles pour déguerpir, mais la brume est très épaisse, et impossible à voir devant soi.
La source ! L’eau ! Elle doit se réfugier dans l’eau avant que la bête arrive, c’est le seul échappatoire.
Mais trop tard. L’énorme animal qu’elle voit à présent distinctement fonce droit sur elle, et avec toute l’agilité qu’elle possède, elle ne put éviter l’impact, qui la propulsa hors d’atteinte de l’eau.
Sa seule chance de survie vient de lui filer enter les pattes.
Elle se bat pourtant avec l’énergie du désespoir et tente de gagner du temps en courant très vite autour de lui pour trouver un chemin pour fuir, par tout les moyens. L’ours est surpris par sa tactique, mais la ruse ne durera pas très longtemps…

- Crève !

L’énorme ours était sur elle. Il allait la fracasser contre une pierre, lui briser les os, lui détruire la colonne vertébrale… S’en était finit d’elle. Il approchait. Elle était dans une impasse, elle avait couru trop loin, trop vite. La ruse a marché, mais comme elle l’avait prédit, elle n’a pas durée. Eko avait hurlé cette dernière parole à la face de l’ours qui se rapprochait. Même si elle sait qu’elle va mourir, elle doit encore se battre. Essayer, du moins. Mais pas mourir par forfait. Jamais !
La bête était à même pas un mètre. La louve sentait déjà son haleine putride. Il leva une patte, mais elle le contourna et essaya de le mordre à la gorge. Sans succès. Ce mince effet de surprise ne dura qu’une poignée de seconde, et l’ours était bourru mais pas stupide. Il l’envoya bouler trois mètres plus loin. Impossible de fuir. Elle était épuisée, sa mince tactique l’avait totalement vidée de son énergie. Monter dans un arbre ? Même pas en rêve. Grimper sur un rocher pour se mettre à l’abri ? Trop risqué. Et si elle tomberait, il en serait fini d’elle. Pendant que l’ours approchait de nouveau vers elle et qu’Eko se demandait par quel moyen elle allait mourir, l’énorme animal bascula en arrière sans aucune raison, dans un hurlement de douleur. Elle distingua une forme beige assez floue sur le dos de la bête, enfonçant ses crocs profondément dans la gorge…
Un loup ! Un autre loup était venue l’aider ! Eko n’en croyait pas ses yeux. En voilà une bonne surprise.
L’ours projeta le loup - la louve en réalité, maintenant qu’elle la distinguait mieux - contre une pierre d’un coup de griffe puissant. Pendant ce temps, Eko se glissa derrière lui aussi vite qu’elle pu, sauta sur lui et lui griffa les yeux avec toute la force qu’elle contenait encore dans son corps fatigué. Elle toucha sa cible en plein dans le mille. Aveugle ou aveuglé pour quelques secondes, il était temps de fuir pendant que l’ennemi hurlait sa rage et sa douleur, ses pattes maladroites cachant ses yeux imbibés de sang.
Eko fuit, libre.
Une minute…
Elle n’allait pas laisser la louve là. Elle n’est pas du genre remerciements, mais elle ne méritait pas la mort pour autant. Et puis sans son intervention, elle serait morte à l’heure qu’il est. Dans un grognement de frustration, elle se dirigea à nouveau vers la louve, toujours inconsciente. L’ours était dix mètres plus loin, toujours en hurlant à pleins poumons, trébuchant tantôt sur une racine, tantôt sur un buisson.
Eko secoua l’inconnue d’une patte nerveuse.

- Réveille toi ! hurla-t-elle. Vite ! Cours !