CHAPTER II ; i walk a lonely road.

« I'm walking down the line that divides me somewhere in my mind on the border line of the edge and where I walk alone. Read between the lines what's fucked up and everything's alright check my vital signs, to know I'm still alive and I walk alone. »
Les étoiles scintillent à la surface de l'eau, la lune étend son reflet blafard sur les eaux calmes et noires. Il fait froid, cette nuit-là, malgré que l’été soit là. Sharpe Buck est assis sur l’herbe gelée par la nuit, seul. Il est seul dans ce monde noir, constitué d’ombres qui le font frémir, qui lui font peur. Son esprit tourne en tous sens, métamorphosant un lapin qui coure, apeuré, en un monstre assoiffé de sang. Métamorphosant le souffle du vent dans les feuilles en un hurlement de bête sauvage. Métamorphosant le bruissement de l’eau en un gargouillement qui sera celui de la bête qui le digérera. Lui, le puissant carnassier respecté de tous, le puissant loup aux muscles saillants, le puissant mâle que personne n’ose défier, il est fou. Il est complètement fou. Si les autres l’apprenaient… Son arrêt de mort serait signé. Le grand mâle lâche un soupir crispé, qui forme une petite volute de fumée au-dessus de son museau. Il a peur. Des sueurs froides coulent dans son dos et il n’ose pas se retourner. Cette nuit-là, quiconque aurait pu la trouver belle, propice au romantisme, douce et agréable, le froid de la nuit comme une caresse après la chaleur écrasante du jour. Mais le froid transperce Buck, le pétrifie ; les étoiles le regardent avec mépris et tout n’est que peur dans le cerveau du mâle. Il se prend à penser à vouloir s’enfuir loin, ne jamais revenir. Vivre, mais vite. Partir, mais loin. Justement, sa vie s’éternise, se répand, est trop longue. Le suicide ? Buck est trop lâche pour ça. Ou peut-être que son corps s’y refuse, que sa volonté n’est pas assez puissante. De toute manière, il sait depuis le début que sa puissance n’est que feinte. Son destin était déjà tracé à la naissance. Il pense à sa vie. Il pense à ce que sa folie lui a fait faire. Il pense qu’il devient de plus en plus cruel, de jour en jour. Il regarde son reflet dans l’eau. Dans ce reflet, là où tous voient un loup puissant, sûr de lui, il voit autre chose. Quelqu’un d’autre. Il voit son amante, il se voit emporté par les Bipèdes, il se voit la tuer de sang froid, se voit mentir à Sawyer, faire tuer un innocent pour sauver sa peau… Il voit tellement d’autres choses. Il n’a aucun regret. Il n’a pas honte. Il n’est pas dégoûté de lui-même. Sharpe Buck relève les yeux. Sa vie est un mensonge, en fin de compte. Seul Slayer n’est pas une affabulation. Il est réel, existant et « aimant ». Il aurait donné sa vie pour lui. Était-ce ça, l’amour ? Sans doute. Il n’avait même pas aimé Ecstasy comme ça. Jamais. Elle n’avait été qu’une perte de temps, une traîtresse, comme tous les autres. Ils méritaient tous de mourir. Tous. Buck sentit une bouffée de chaleur monter en lui, signe annonciateur de sa haine qui augmentait. Ses pattes se décongelèrent et il se releva. Ses yeux brillaient dans l'obscurité, et la louve qui se tenait en face de lui lui fit reprendre l'aplomb qu'il avait soudainement perdu, quelques minutes auparavant. Sharpe Buck toisa la femelle, de toute sa hauteur, et attendit, dans le silence, qu'elle daigne prendre parole. Elle ne lui était pas inconnue, bien au contraire. Elle était celle qui apaisait ses maux, et qui faisait taire ses démons. Il la couvrit d'un regard qu'il aurait voulu chaleureux, mais qu'il n'était pas réellement apte à donner.

L’obscurité de la grotte projetait sur Buck des ombres dansantes, qui lui donnaient un air inquiétant. Ses yeux luisaient dans la pénombre pendant qu’il fixait la louve au pelage immaculé. Aucune trace de ses démons ne se faisait sentir, ils semblaient retranchés au fin fond de son esprit, bien décidés à ne jamais en ressortir. Ils ne se manifestaient presque plus en présence de Lonely, comme s’ils avaient compris qu’une lutte contre une force telle que celle de la louve était perdue d’avance. C’était un phénomène qu’il n’avait jamais su expliquer, et auquel il ne préférait pas chercher d’explication, d’ailleurs. Il avait bien trop peur que cette réflexion ne vienne à raviver ses peurs. Il se devait d’être fort, puissant, froid, comme son physique était censé l’imposer. Mais il était si fragile, si faible. Si sensible, au fond. Il était certain que c’était lui, qui voyait réellement tout ce qui existait réellement, et que les autres, ceux qui n’avaient pas d’apparitions comme lui, étaient simplement aveugles, dépourvus de sensibilité. Bientôt, il pourrait avouer au monde sa folie qui n’était en fait qu’une lucidité hors du commun, et tous le traiteraient en roi au lieu d’être un esclave malmené pour sa différence. Il sourit à cette pensée glorieuse, qui lui redonnait un peu d’espoir dans cette misérable existence, rythmée par la torture et les désillusions. Son répit ne serait que de courte durée, il le savait. Mais Buck avait appris la patience. Un jour, un jour peut-être…
« Sharpe Buck ! C’est bien toi ? Je suis si heureuse de te revoir ! » Oui, c’est moi. Il sortit de l’ombre, exposant son corps hirsute mais solidement bâti. La louve semblait si frêle, en comparaison, malgré qu’elle soit loin d’être maigrichonne ! Son sourire lumineux irradiait son visage, comme le soleil illumine le ciel au mois de juillet. Elle avait tellement de facilité à montrer sa joie de le retrouver, et il se prenait parfois à douter de cette joie. Comment pouvait-on être réellement heureux de retrouver un fou à lier, sauvage, imprévisible et atteint de troubles psychiques qui lui faisaient entrevoir un monde ignoble, infecte, dans lequel la mort était partout ? Il avait parlé à Lonely de ses hallucinations, mais jamais de ce qu’elles contenaient. Il avait peur que la louve le fuie, ce qui était totalement irrationnel puisqu’elle n’avait jamais au grand jamais fui le cendré. Mais il ne faut jamais dire jamais, vous le savez bien… Et ce doute persistait à faire croire à Sharpe Buck de ne rien dire de ses folies à la louve. Elle était la seule, réellement, qui pouvait lui inspirer la plus complète, la plus totale des confiances et il tenait à elle, vraiment. Mais comment parvenir à le lui dire ? C’est souvent une des caractéristiques des autistes, de ne pas pouvoir s’exprimer. Peut-être Buck l’était-il un peu… ? Il esquissa une ombre de sourire, qu’il eut voulu aussi chaleureux, aussi irradiant que celui de Lonely, mais n’en résultat que la pâle copie de ce dont était capable la crème. Il s’approcha d’elle, tout doucement, comme s’il eut craint d’effrayer un oiseau méfiant, qui pouvait s’envoler à tout instant. Un petit grognement affectueux et ronronnant monta des profondeurs de sa gorge pour venir mourir dans un souffle, qui se mêla à celui de la louve. Il resta ainsi, à quelques millimètres à peine de son museau, pendant quelques secondes de silence absolu. Dans la brume du petit matin, ce spectacle aurait pu paraître féérique, irréel. Mais Buck n’était pas un grand extraverti mental, ni un grand poète. Il abrégea donc cet instant en répondant d’une voix sourde, au timbre grave et où perçait un léger tremblement.

SHARPE « Oui, c'est bien moi. Moi aussi, je suis content de te voir, Lone. Très content. »

Et encore une fois, cette ombre de sourire mal fait qui assombrit son visage, alors qu'il aurait dû, au contraire, l'éclairer.