Je ferais de ce monde un rêve, une éternité. [With Tsiguane.]

« S'il suffisait qu'on s'aime
S'il suffisait d'aimer
Si l'on changeait les choses un peu,
Rien qu'en aimant donner
S'il suffisait qu'on s'aime
S'il suffisait d'aimer
Je ferais de ce monde un rêve, une éternité. »
Céline Dion - S'il suffisait d'aimer ♪.

Marche silencieuse. Les arbres bruissaient sur son passage, le vent s'infiltrant dans les branchages, les caressant telle une main maternelle. Storm marchait d'un pas soutenu mais léger dans la forêt australe. Il avançait au hasard de ses pas, ne sachant pas où cela le mènerait. Il se laissait simplement guider par son instinct infaillible, à qui il faisait absolument confiance. Sa robe blanche se teintait de vert émeraude et de couleurs printanières, jeux de lumières crées par les feuilles des arbres filtrant les rayons du soleil.

Il disparut soudainement, s'évadant dans les méandres de son esprit. Seul son corps était encore présent dans ce lieu quéri par la solitude et par le silence. Même les oiseaux respectaient son deuil et l'accompagnait sans bruit au plus profond de ses pensées. Il se mit à penser à elle. Isys. Une douce mélancolie l'envahit, son cœur se serra brutalement et ses muscles se tendirent. Elle n'était plus de ce monde et pourtant, il l'aimait toujours. Comme au premier jour. Il se souvenait comme si c'était hier de ce corps aussi frêle que celui d'une biche, de cette fourrure blanche, de ses yeux d'ambre, de sa voix douce et claironnante. Il aurait tant aimé la revoir, ne serait-ce qu'un instant, rien qu'un court instant. Juste le temps de croiser son magnifique regard, qui ne le quitterait encore jamais. Autant de souvenirs qu'il garderait et qu'il emporterait avec lui, au-delà de la mort.
La folie de l'amour. S'il avait pu faire comme Orphée et aller chercher sa chère et tendre Eurydice aux Enfers, il l'aurait fait sans hésiter. Malheureusement, il n'était pas ici question de mythes mais bien de la réalité : il ne la reverrait jamais. Rien qu'à cette pensée, sa gorge se noua et un sentiment de mal-être et de solitude le submergea tout d'un coup. Il était seul, complètement seul, sans compagnie, sans ami. Sans famille, sans rien. Il n'était qu'un bon à rien, juste un pauvre loup au passé pitoyable errant à travers les territoires du Sud pour accomplir sa tâche d'espion.

Chef espion au sein de la meute australe, il se devait d'inspecter les territoires de sa meute, se partageant le travail avec d'autres loups qui étaient sous ses ordres. Il devait vérifier chaque recoin, évitant ainsi les intrusions d'individus mal intentionnés et la perte de loups du Sud. On disait d'eux, des espions, qu'ils étaient énormément utiles au sein de la meute. C'était peut-être vrai. Storm ne mesurait pas vraiment l'importance de son rôle, du moins aujourd'hui. Distrait, il regardait à peine autour de lui. D'ailleurs, il n'avait pas le cœur à ça. Il y avait des jours comme ça où il ne se sentait pas capable d'assumer une telle responsabilité, où il se dévalorisait et perdait confiance en lui. Plus rien n'était pareil depuis la disparition d'Isys et plus rien ne le serait. Il commençait à peine à mesurer l'ampleur qu'avait la disparition de sa bien-aimée sur sa vie.

Storm devait avoir marché pendant de longues minutes, voire de longues heures, sans s'en rendre compte. De là où il était, même s'il se trouvait encore dans la forêt, il pouvait entendre ce bruit si familier qui résonnait en lui comme une mélodie. La mer. Elle était là, toute proche, juste à côté. Il accéléra le pas. Les arbres devenaient moins touffus, la verdure moins dense, l'herbe jaunie... Et la plage était là, devant lui. Un sourire chaleureux s'esquissa sur son visage et lui réchauffa le cœur. Il ferma un instant les yeux, laissant le vent fouetter sans ménagement son visage. Puis, il se remit en marche et descendit lentement de la dune qui l'avait accueilli.

Ses pattes foulaient le sable brûlant avec délicatesse. Il avançait, en formant des courbes et arabesques diverses, gracieuses, la queue panachée, le port de tête altier, droit. Il semblait descendre tout droit d'une grande lignée de loups, et pourtant, il n'en était rien. Il était né comme tant d'autres d'un père et d'une mère des plus communs. Malgré un pitoyable passé, qui le hante chaque jour, chaque minute, chaque seconde qui s'écoule. Un souvenir qui lui colle à la peau et qui ne le lâche jamais. Même pas en cet instant.
Il fit encore quelques pas puis s'arrêta face à la mer, sa fourrure d'un blanc d'ivoire luisant au soleil. Il faisait magnifiquement beau en cette journée de fin d'été. Le printemps faisait son apparition, accompagné d'une fraîcheur bienveillante. La mer était calme. Elle venait paresseusement s'échouer sur le rivage, les vagues étendant leurs longs bras jusqu'au loup blanc, tentant de le happer et de l'attirer à elles.
Comme toujours, il était l'unique présence en ce lieu. Storm avait l'habitude de venir ici. Il ressentait le besoin de venir se confier à la mer, à cette eau habituellement déchaînée qui avait déjà emporté bien des secrets inoubliables et gravés dans la mémoire de chacun.

Il guettait, immobile et tendu sur la langue de sable, son regard poussé jusqu'à l'horizon, imaginant une terre nouvelle et inconnue, là-bas, tout au fond.
Ses quelques mèches rebelles et quelques poils blancs épars étaient soulevés par un souffle taquin. Son pelage tombait sur des muscles finement ciselés, comme s'ils étaient taillés dans le marbre ainsi que des pattes puissantes et noueuses. Pas belliqueux pour le moins du monde, Storm portait toutefois une cicatrice sur l'épaule, entièrement cachée par sa fourrure. Vestige de son effroyable passé qu'il ne pourrait jamais oublier et avec lequel il devrait vivre toute sa vie.